interview
par kreamondo
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La bijouterie selon Marielle Debethune : dialogue avec la matière
La bijoutière Marielle Debethune nous entraîne dans son univers mêlant exploration de la matière et des formes, dépassement permanent d’une intuition créatrice profondément inspirée de la nature. Voici son interview par Kreamondo.
Retour sur votre parcours. Comment êtes vous devenue bijoutière ?
C’est le hasard qui m’a amenée vers la bijouterie. Étudiante aux Beaux-Arts de Marseille, après mon stage de 3ème année avec Luc Besson sur le tournage d’Arthur et les Minimoys, j’étais convaincue de vouloir poursuivre dans le cinéma. Toujours aux beaux-arts, mon stage ERASMUS de feutre en Mongolie est tombé à l’eau et il restait une place dans la section design à Barcelone. J’ai accepté cette nouvelle proposition.
En arrivant, j’ai compris qu’on m’avait affecté par erreur dans la section bijouterie créative. Une erreur qui a complètement bouleversé le cours de ma vie. Je me suis spécialisée dans la bijouterie et suis restée 10 ans à Barcelone !
Qu’est ce qui vous a plu dans la bijouterie ?
C’est le métal, le travail de la matière. Je me sens plus proche du sculpteur que d’autres bijoutier. Je ne dessine pas mes bijoux en amont, c’est ma main qui me guide.
Je travaille la technique de la cire perdue. Tous mes prototypes sont réalisés en cire, puis montés dans du “plâtre” et passés au four. Une fois la cire fondue, l’argent, ou l’or sont coulé dans la cavité. C’est une technique utilisée également en sculpture.
Dans quelle atmosphère travaillez-vous ?
Mon atelier est plein, plein de petits trésors trouvé dans la nature. Je m’inspire essentiellement de la nature dans mes créations. J’ai beaucoup de carnets de recherche où j’explore des formes, des textures. Enfant, avec mon père, on passait beaucoup de temps sur la plage à chercher des petits coquillages, à regarder les formes qui se répètent pour créer de plus grands éléments. Le rapport à la mer revient souvent, notamment autour des coraux. J’aime bien laisser place à l’interprétation. Par exemple, je m’étais inspirée des pétales de fleurs pour une création et certains y voient des Ginkgo biloba.
J’aime bien me cultiver aussi pendant que je crée, j’écoute la radio et beaucoup de podcasts le casque aux oreilles pour rester dans ma bulle.
Comment choisissez-vous les matériaux avec lesquels vous travaillez ?
Je me fournis chez un raffineur espagnol que j’ai rencontré lors de mes études. Il récupère l’argent plus ou moins coupé, le refond, le raffine et récupère l’argent pur. L’argent 925 que l’on a en France avec le poinçon, c’est 925 g d’argent pour 75 g de cuivre. L’argent pur est trop mou, trop malléable, c’est le cuivre qui apporte la rigidité. L’argent pur et blanc est utilisé pour le traitement de surface. Il permet de faire ressortir les textures.
D’où vous vient votre inspiration pour créer de nouvelles collections ?
Quand je me promène et remarque des formes qui m’intéressent, je les reprends et les décortique dans mes carnets d’exploration. J’aime bien récolter des petites choses… Je suis une glaneuse.
C’est plutôt le visuel, le motif, la répétition, qui m’interpellent dans la texture. En bijouterie, il y a aussi évidemment la contrainte du touché, il faut que la pièce soit agréable à porter.
Qu’est ce qui se précise chez vous, dans votre métier, au fur et à mesure que vous gagnez en expertise ?
Certainement, une efficacité dans le travail en lui-même. Je gagne en intuition, car au niveau de l’acte créatif, c’est plutôt inconscient. Je vais avoir plus spontanément l’intuition de ce que je vais pouvoir faire d’une forme ou d’une texture. Très vite, je vais pouvoir décider d’aborder ou non certaines textures que j’aime bien. Je me perds moins dans les méandres de la création, mon travail est plus efficace.
Et au niveau de vos collections ? Il y a votre patte, votre signature qui se précise non ?
Oui, c’est certain, même si je cherche toujours à explorer de nouvelles voies. J’essaie de sortir de ma zone de confort. Certaines collections sont plus stylisées, d’autres plus texturées. Des collections plus plates, moins dans le volume, d’autres davantage dans une texture grattée, où je vais enlever de la matière. Je ne me lasse pas du motif, de la texture. J’imagine des textures intemporelles que je cherche à garder. Je ne suis pas dans une recherche des tendances. Je fais évoluer une collection en gardant son essence, j’écrème et j’explore.
Vous arrive t-il de vous surprendre dans votre travail créatif ?
Je suis toujours dans la découverte face au processus créatif. Mes mains me surprennent souvent. Je les laisse s’exprimer, en partant d’une idée, le travail de la matière est au cœur de la création !
C’est une sorte de dialogue. J’accueille ce que la matière a à me proposer.
Avez-vous un adage, un leitmotiv ? Ou un mot qui caractériserait votre travail ?
J’ai plutôt des mots clés, des thématiques qui accompagnent mon travail, comme la texture, la nature ou l’écologie. On en a pas beaucoup parlé mais l’écologie occupe une place importante dans mon travail. Lorsque j’ai débuté dans la bijouterie, il y a une quinzaine d’années, l’écologie n’était pas dans l’air du temps. La question de la provenance des matières premières se posait moins. Alors au début quand je demandais à des fournisseurs d’où venait leur matière première, ils étaient surpris par ma question. Aujourd’hui, cette démarche, ce souci, est compris et valorisé (et tant mieux!).
L’argent est une matière première réutilisable à l’infinie. Avec mon raffineur, c’est la garantie d’une seconde vie pour l’argent. Dans le monde de la bijouterie, l’écologie devient une préoccupation de plus en plus importante. Il y a une dizaine d’année, lorsque j’ai fait un atelier de dorure, nous étions dans une pièce grande comme un placard, sans fenêtres, à manipuler des acides… Actuellement encore, avec l’extraction des minerais, il est pratiquement impossible d’avoir des labels fiables. Les pierres et le métal proviennent pour la plupart de pays en voie de développement où elles sont extraites dans des conditions humaines pas possibles.
Ce qui me plaît aussi dans mon métier, c’est qu’on utilise des outils qui existent depuis des millénaires et sont communément partagés. Des bijoutiers berbères ont quasiment recours aux mêmes outils que moi. On travaille le métal avec les mêmes outils et on va le revaloriser chacun à notre manière avec nos sensibilités…
Work
4 commentaires
Avril
16 septembre 2023 at 9 h 31 minPassionnant, sur l’histoire de la créatrice et sur l’origine des matériaux.
Mariel
22 septembre 2023 at 15 h 59 minMerci !!
Carole MISE
19 juin 2024 at 12 h 29 minOui passionnant. Admiration. J’aime énormément vos créations ! 👏
Mariel
19 juin 2024 at 15 h 59 minMerci!